C’est le refus en 1954 des autorités catholiques d’accorder un enterrement religieux à l’écrivaine Colette, considérée comme vulgaire, qui inspire l’ouvrage de Stéphanie Michineau, « Colette, par-delà le bien et le mal ? », publié aux éditions Mon petit éditeur. Par l’étude de trois romans de la défunte, « Claudine en ménage » publié en 1902, « La Retraite sentimentale » en 1907 et « La Seconde » en 1920, elle vérifie si son œuvre est réellement obscène.

 

Qu’est-ce qui peut bien conduire un être humain à être infidèle ? La notion de moralité n’est-elle pas relative ? En quoi la femme est-elle prisonnière d’une société patriarcale pesante dans laquelle tout passe par l’homme ? Ce sont là les sujets essentiels soulevés par le livre de Michineau. Dans les romans de Colette, l’homme est présenté sous l’angle médiocre et la femme est épargnée de tout reproche. « L’homme ne possède pas le statut d’être humain…Il sert de repoussoir à la femme. La femme, elle, est objet d’attention et de compréhension ; à la femme et à elle seule, en effet, l’auteure pardonne ses écarts » (page 41).

 

La chute se fait dans la gaieté et l’insouciance

 

La tristesse dans le foyer est à l’origine des infidélités des principaux personnages. Les nombreuses passades interpellent lorsqu’on sait qu’à l’époque la société a des règles plus rigides que celles d’aujourd’hui. Colette dénonce un environnement dans lequel les femmes sont soumises à l’homme. Elles ne sont plus prêtes à lui faire don de leur existence en contrepartie d’une sécurité matérielle. Ses écrits les lâchent dans l’antre des voluptés sexuelles plurielles. Pour elle, l’émancipation féminine passe par là. « L’homme n’est plus présenté comme un Dieu » et « Annie énumère à Claudine les diverses aventures qu’elle a eues avec des hommes après son mariage » (pages 54-55). 

 

Elle livre sa bouche à un amant

 

Les hommes sont pensés collectivement par celles qui sont sexuellement demanderesses. Au point que Marcelle Biolley-Godino estime que Colette chosifie ses héros. Annie, l’épouse d’Alain dans « La Retraite sentimentale », elle, les caractérise carrément par leur profession : « il s’agit d’un artiste…d’un ténor ou d’un chauffeur ». Et de préciser, toute amusée, s’agissant de sa dernière escapade avec ce dernier : « …il chauffait, hein ? ». Elle se moque aussi d’eux comme à la page 57 où elle confie : « le ténor, il chante à tout propos et le chant semble compenser chez cet homme une activité sexuelle défaillante ».

 

On a l’impression que la femme ne pense qu’à « ça » et ne veut louper aucune seconde de plaisir avec n’importe qui. Quant aux hommes, tantôt brutaux tantôt faibles comme Renaud, le mari de Claudine, ils portent la responsabilité du vagabondage de leurs épouses et sont pervers. Si  l’œuvre évoque la problématique de l’amour au sein et en dehors du couple, elle ne l’aborde pas sous tous les angles. On note également une absence d’auto-critique de la part de la femme ainsi que la présence ambivalente de la revanche et du pardon chez celle-ci.

 

Les personnages Colettiens se ressemblent. Renaud, Claudine, Farou, Fanny, Alain, Annie, Rézi ou encore le capitaine Lambrook sont tous mariés. Comme Colette elle-même, ils ne résistent pas à l’attirance physique. Ils sont jaloux et mis à part Renaud et Farou qui ont chacun un fils, les autres n’ont pas d’enfants. Les femmes dépendent financièrement de leurs époux. Les autofictions de Colette considèrent que les rapports homme-femme sont toujours conflictuels, à l’image de son propre mariage avec Willy.

 

Un combat se livre en Claudine entre raison et amour

 

Les héroïnes veulent rompre avec la société patriarcale où la femme est au foyer et sert à faire des enfants. Elles veulent sortir des standards de la société dans laquelle le mariage forcé est présent et où la femme ne divorce pas. Pour ce faire, Colette préconise la libération de la femme du joug conjugal par le sexe. Même avant le mariage, elle est libre d’offrir sa virginité. Tant pis pour la norme. Claudine tente de consommer précocement Renaud à la page 73. « Mais enfin, dans huit jours ou maintenant, qu’est-ce que ça fait ? ». Et Jane a connu plusieurs hommes avant Farou. La femme est libre ou entravée dès qu’elle est en ménage.

 

Néanmoins, rattrapée par la raison, cette révolution féministe ne va pas au bout de sa logique car avant tout, c’est la préservation du mariage qui prime. En outre, chez Colette, même dans la déception, l’amour est présent et le plaisir sans amour est destructeur. Ainsi, dans « La Seconde », Fanny opte pour la compromission et Jane pour la soumission à son homme. Malgré la putasserie, il y a la peur de la solitude et une volonté de s’extirper de la débauche. « Ne représentent-ils pas tous deux (Marcel et Rézi) des tentations nuisibles ? Ainsi, l’épisode se clôt par la victoire de Claudine sur la tentation de la chair fraîche : « Tout est parti » (page 117).

 

L’homme tente d’échapper à la monotonie des amours conventionnels

 

Le troisième et dernier chapitre évoque les rapports contre nature dans l’écriture de Colette. Cette dernière soutient déraisonnablement que des gens qui sont nés avec un sexe précis peuvent être à la recherche d’une identité sexuelle ou d’un reconfort sentimental contre naturel. Poussant l’incompréhension à son comble, elle accepte la déviance féminine et trouve celle entre hommes inutiles. Bref, si ici Michineau emploie les expressions « déviance, perversion, pédérastie » et des allusions à « Sodome et Gomorrhe ». Saint-Paul, lui, dira aux romains que les hommes s’adonnent «  à des passions infâmes : car leurs femmes ont changé l’usage naturel en celui qui est contre nature, et de même les hommes, abandonnant l’usage naturel de la femme, se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres ».

 

Pour finir, disons que l’œuvre de Colette, écrivaine amorale et immorale du début du XXeme siècle, est parsemée de problèmes inhérents à notre époque. Et Stéphanie Michineau, qui pourrait avoir laissé une partie de sa personne dans son texte, d’indiquer : « Les années folles que l’on peut situer de 1920 à 1930, portent bien leur nom en ce qu’elles se caractérisent par un débridement des mœurs incroyable » (page 128). A travers cette refléxion, Michineau a eû le mérite, en fin de compte, de sortir du cloisonnement de la recherche universitaire.  Elle a éclairé le grand public en mettant en lumièreles conséquences de l’insatisfaction sexuelle. A savoir : la trahison, la dépravation des mœurs, le divorce, l’homosexualité, l’échangisme sexuel ou encore la souffrance.

                                                                                                      Franck  CANA

« Colette, par-delà le bien et le mal ? », Stéphanie Michineau, essai, éditions Mon petit éditeur, 188 pages, 10 euros le format numérique et 20 euros au format papier.

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