Ntumba Bwatshia

Après le Burkinabé Blaise Campaoré contraint de prendre la fuite avec l’aide de la France, Joseph Kabila se lancerait-il à son tour dans le combat de trop visant à se maintenir à son poste au-delà de son dernier mandat présidentiel en 2016 ? En effet, c’est au forceps avec bagarre dans l’hémicycle, interdiction faite aux députés de l’opposition d’accéder à leur espace de travail, arrestations d’opposants et des manisfestants abattus par les forces de sécurité que le président de la République Démocratique du Congo a lancé une réforme électorale rejetée par une large majorité des Congolais. L’un des leaders en Europe de l’opposition, en l’occurrence le professeur de Droit Nicole Ntumba Bwatshia, représentante en Belgique de l’Union pour la Nation Congolaise, l’UNC, de Vital Kamerhe, in concreto deuxième formation politique du Congo après l’UDPS, a bien voulu nous accorder une interview à ce sujet.

 

Professeur, le Congo est-il une dictature ou une démocratie pour l’UNC ?

L’UNC considère qu’avec l’arrivée de l’AFDL en 1997, les germes démocratiques

commençaient à bourgeonner. Puis les élections présidentielles de 2006 ont permis

d’entrevoir l’instauration d’un Etat de droit. Mais très vite, avec la dérive chaotique des élections présidentielles de 2011, il est clair que la RDC sombre de nouveau dans la dictature qui favorise l’installation à vie du Président aux commandes de l’Etat, par le muselage des droits de l’Homme, les intimidations, les menaces, le déséquilibre notoire entre la richesse pour les uns et la misère et la pauvreté pour les autres, etc.

 

Comment votre parti interprète-t-il la volonté du gouvernement Matata Ponyo de réformer la loi électorale ?

L’UNC rejette purement et simplement toute idée ou tentative de réformer la loi

électorale. En quoi cette loi est mauvaise à ce jour ? Elle appelle tout citoyen à exercer son droit constitutionnel tel que le dispose l’article 64. Les différentes marches de l’opposition, celle de la place Sainte-Thérèse dans la commune de Ndjili et surtout celle du 12 janvier 2015 devant le Parlement, malheureusement réprimée dans le sang, démontrent à suffisance que le pouvoir veut effectuer un passage en force face à la tentative échouée de modifier certains articles de la Constitution.

 

A l’instar du PPRD, parti kabiliste, l’UNC est-il favorable à une modification constitutionnelle ?

L’UNC soutient que la Constitution a elle-même prévu que certains articles sont

cristallisés, intangibles et verrouillés. C’est le cas de l’article 220 qui ne prévoit que deux mandats présidentiels. Tenter de modifier ce dernier est un acte anticonstitutionnel. Tous les subterfuges que le pouvoir utilisera pour toucher aux articles verrouillés déclencheront l’application de l’article 64 qui invite tout Congolais à faire face et échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force. C’est en vertu de cet article que l’UNC, avec d’autres partis de l’opposition, invitent le peuple à braver la peur.

 

Quelle lecture faites-vous de la situation socio-économique de la RDC ?

J’estime que la croissance macro-économique dont se vante tant le gouvernement, ne concerne que le secteur minier en réalité. La situation socio-économique est désastreuse, la pauvreté continue de sévir sur une population déjà affaiblie par le manque d’argent, de travail, de santé, de loisir, d’énergie électrique et d’eau, de scolarité. Bref du minimum vital pour son épanouissement. Il suffit d’arpenter les artères qui composent les cités de la ville de Kinshasa. Ce ne sont pas les routes élargies qui contribueront à résorber la déliquescence du tissu économique. Les autres provinces également vivent dans une misère noire qui fait perdre tout espoir de voir enfin le bout du tunnel.

 

Participeriez-vous à un gouvernement d’Union nationale ?

L’UNC rejette avec la dernière énergie le fait d’entrer dans un quelconque

« gouvernement d’union ou de cohésion nationale » qui n’aurait que de cohésion nationale le nom. Quelle est l’utilité de participer à un gouvernement qui ne résoudra aucun problème en si peu de temps car le 19 décembre 2016 à minuit le mandat kabilien prend fin ? C’est la Constitution qui le dit formellement sans aucun brouillard. L’UNC veut l’alternance au pouvoir car l’usure du pouvoir érode le bon sens des individus qui l’exercent. Il existe une vie après la présidence. Il faut savoir quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte.

 

L’Occident ne serait-elle pas complice de ce que les Congolais considèrent comme leur emprisonnement ?

L’Occident ne va que là où ses intérêts le portent. L’instabilité institutionnelle, économique et sécuritaire de la RDC semble profiter aux puissances étrangères pour la poursuite des trafics clandestins des matières premières congolaises. Par exemple, le coltan utilisé dans les téléphones cellulaires. Ce minerai, unique en RDC, est précieux car il empêche que les données d’un appareil cellulaire se perdent. Il est donc d’une extrême importance. Je déplore le caractère parfois ambigu de l’Occident qui laisse à penser qu’il prêche tantôt le chaud et tantôt le froid. Il a du mal à prendre une position ferme dans certains problèmes et traite différemment ceux-ci selon qu’on est dans de bonnes augures ou pas.

 

La diaspora congolaise est-elle aussi vigilante que ceux de l’intérieur sur le respect de la norme constitutionnelle ?

Longtemps on a considéré que la diaspora congolaise était molle et peu regardante sur ce qui se passait au pays. Elle ne se contentait que d’envoyer à leur famille un soutien financier. Mais aujourd’hui plus qu’hier et encore mieux que demain, il est de bon ton de signaler que la diaspora congolaise de Belgique en particulier et des autres pays en général, est très active et sensibilisatrice. Elle contribue sans relâche à la prise de conscience nationale du changement. Elle influe désormais sur la politique intérieure du pays. Chacun à sa manière, certes, même si nous déplorons parfois l’extrémisme et l’intolérance. Néanmoins, le sentiment du vouloir vivre collectif, le nous national sont les maîtres mots du désir ardent de voir basculer la RDC dans le concert des nations respectées. C’est la raison pour laquelle le droit de vote doit lui être accordé et la double nationalité reconnue.

 

Que vous inspire l’unité de l’opposition à laquelle on assiste actuellement ?

Il faut d’abord saluer franchement cette « unité sans précédent » que l’opposition a toujours recherchée. Pour la première fois tous les leaders de l’opposition sans exclusive, ont mis de côté leurs différents egos pour parler un seul langage : celui du départ du Chef de l’Etat après la fin de son mandat constitutionnel. Ensuite, il faut reconnaître que l’opposition réunie offre une belle image de détermination pour en découdre avec les tentatives du holdup constitutionnel auxquelles le pouvoir s’essaie sans relâche. Le pouvoir ne réussira pas son passage en force car la population, à travers les vibrants et nombreux appels de l’opposition et de la Société civile se sent comme pousser des ailes pour empêcher le troisième mandat que le pouvoir veut s’arroger au mépris de toutes les dispositions légales.

 

En quoi consiste exactement la peur du glissement vers une prolongation du mandat présidentiel ?

Il y a eu une première tentative de modification de la Constitution dans son article 220. Le terrain se préparait subtilement avec la parution du livre « Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de l’Etat » de l’actuel Vice-Premier Ministre, Professeur Evariste Boshab et Secrétaire général du parti présidentiel qui posait déjà les jalons de la révision de cet article. Ayant senti la supercherie, l’opposition a crié au scandale et a multiplié des campagnes de sensibilisation et de vigilance contre cet état des choses. L’idée de révision a été retirée. Mais voilà qu’un autre plan s’est mis en place, celui de réviser la loi électorale faisant du recensement une condition préalable à l’organisation des élections à venir. Or, il appert qu’un recensement dans un Etat à problème comme la RDC ne peut pas se faire en une année. Il est clair qu’il ira au-delà de 2016, prétextant que le recensement n’est pas terminé et qu’il y a eu des difficultés. Le glissement réside à ce niveau-là. Si la population se laisse faire comme ce fut le cas pour la révision de l’article 71 de la Constitution qui a fait passer l’élection du président au scrutin à un tour au lieu des deux initialement prévus ; elle va se réveiller un matin et constater que le Président et sa majorité sont encore au pouvoir grâce au fallacieux motif du recensement. C’est d’ailleurs pour exécuter ce projet du glissement que l’Office national pour l’Identification de la Population, ONIP, a été créé.

 

Pourquoi l’UNC refuse la tenue d’un dialogue national alors que cela pourrait apaiser les tensions ?

L’UNC a toujours revendiqué la tenue d’un dialogue conformément aux prescrits de la Résolution de l’ONU 2098 et de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba de 2013. En violation de l’esprit et de la lettre de ces instruments juridiques internationaux, le pouvoir a préféré convoquer les Concertations Nationales avec plus de 600 recommandations dont la principale et la plus attractive était la composition d’un nouveau gouvernement dit « de cohésion nationale », qui a vu le jour après un an soit en 2014. L’UNC a refusé de cautionner sa participation à ces concertations, qui ressemblaient plus à un congrès du parti présidentiel. L’UNC avec d’autres alliés ont créé la Coalition pour le Vrai Dialogue, CVD, pour tenter de récupérer le dialogue tel que souhaité par les instruments onusiens. Mais là, l’opposition ne s’est pas mise ensemble car ceux des opposants qui ont participé aux fameuses concertations ont été gratifiés par leur entrée dans le gouvernement actuel. Certains partis politiques de l’opposition se sont rendus complices de cette supercherie. Ils sont libres. Mais l’UNC clairvoyante a maintenu sa position ferme de ne pas s’impliquer. Aujourd’hui, alors que le temps du départ du Président approche, l’on nous ressort le discours de la tenue d’un dialogue. L’UNC dit non car la tenue de ce dialogue équivaut à une autre forme de glissement du mandat présidentiel au-delà de 2016. Vous imaginez le temps qu’on va perdre dans la composition des personnalités appelées, l’ordre du jour, les fameux per diem, tout cela va prendre des mois et des mois qui risquent de déborder lentement sur les 90 jours de la tenue des élections présidentielles. Il n’y a qu’à voir combien de temps il a fallu au pouvoir pour sortir l’actuel gouvernement depuis les concertations nationales ! Plus d’une année.

Votre mot de la fin, Professeur.

L’UNC invite le Président à, simplement, se conformer à la Constitution et permettre l’alternance du pouvoir. Et c’est après son départ constitutionnel que l’on pourra se mettre autour de la table et discuter sur le fond de tous les maux qui rongent notre chère République Démocratique du Congo.

Franck Cana

Propos recueillis par Franck CANA.

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