roman etre

« Ma fille, la prochaine fois que tu auras envie d’aimer un homme, ne choisis pas d’en être la maîtresse… être maîtresse, c’est du vent, c’est provisoire ». C’est le précieux conseil que Medza donne à sa fille Lucinda qui naquit 29 ans plus tôt dans des circonstances particulières. Medza, une femme délaissée au foyer par son époux, un gabonais blanc, patron d’une grande usine de poisson du quartier Ivindo, souvent entre les jambes des femmes du dehors, tombe malencontreusement enceinte d’un amant gabonais noir.

 

Par crainte de son mari, de la famille, de la société, elle va tenter d’avorter par tous les moyens, sans succès : « Tu avais tout essayé : de la douche vaginale aux racines de papayer, l’introduction de fibres végétales, tu t’étais même assise, jambes entrouvertes, sur une pierre brûlante. Et le sexe en feu, tu avais attendu, pleuré, espéré et guetté que quelque chose sorte de là », rappelle la fille à sa mère. Dans ces conditions, quelle est la nature de l’amour mère-fille qui peut jaillir d’un tel début de vie ? Quel rapport à l’autre Lucinda peut-elle entretenir en portant une telle blessure ?

 

Ces lieux qui avaient gardé le souvenir des amants maudits

 

Après son roman « Percées et chimères » en 2011, l’écrivaine d’origine gabonaise Charline Effah publie « N’être ». Cette fresque pourrait aussi être un véritable cas de conscience posé par une férue de littérature, née à Minvoul au Gabon d’un père avocat et d’une mère institutrice. Le récit à l’écriture impeccable met par ailleurs en lumière la problématique du devenir des enfants nés de l’adultère. Évoquant la raison pour laquelle elle porte le nom de son grand-père, la narratrice Lucinda Bidzo affirme : « Parce que les enfants de l’adultère n’appartiennent à personne ».

 

Après une enfance cachée et éloignée de sa mère, elle va courir après la construction de son « Être ». L’héroïne, qui se retrouve dans les bras d’un homme marié, Amos le mari de Samia, va suivre telle une malédiction, le même cheminement que sa mère. Un amour volé et caché, la question de la couleur de la peau, une grossesse d’Amos que ce dernier rejette, le mal-être et la trahison. En France, en attendant le colmatage des brèches de sa personne, Lucinda tue parfois le temps au « Tropical-Bar » avec une bande d’amis. « On se réconfortait dans les ennuis des uns et des autres. Ça aidait à trouver un sens à nos vies ».

 

Assembler les pièces détachées d’une vie que je n’aimais pas

 

L’ouvrage de celle qui a collaboré à l’œuvre collective « Les Lyres de l’Ogooué » en 2012 sous la direction d’Edna Merey-Apinda introduit le lecteur dans la psychologie des personnages. Ces derniers qui pour l’essentiel rêvent de voir : « les choses aller mieux au pays, que les sorciers soient exterminés, que les dictatures soient renversées, que les hommes se convertissent à la monogamie et offrent des fleurs aux femmes… ». Dans cette course effrénée à la recherche de soi-même et de l’amour, Lucinda découvre le pardon puis s’en suit son retour au Gabon devant le visage de sa mère.

 

L’amour a besoin d’être vu pour vivre et faire vivre

 

Pour être honnête, précisons que Charline Effah, qui est une passionnée de peinture, termine son tableau romanesque comme elle l’avait commencé, de très belle manière. La fin nous offre un face à face envoûtant entre la mère et la fille après plusieurs années de souffrances de part et d’autre. « N’être » est une réussite littéraire tant sur le fond que sur la forme. Un cadeau idéal pour Noël.

 

« N’être », de Charline Effah, roman, éditions La Cheminante, 143 pages, 9,90 euros.

Charline Effah

Source : Magazine « Mito revista cultural » n°17 de décembre 1014.

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